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Le masochiste moral

L’article ci-après définit savamment ce qu’est le masochisme moral. Mais avant, explorons plus légèrement ses dérives.

 

 

Les masochistes moraux, au lieu de repousser les attaques verbales et les comportements humiliants, trouvent à leurs bourreaux des excuses sous prétexte de liberté d’expression ou de tolérance, se soumettant ainsi à des traitements dégradants.

Cette attitude de passivité, exacerbée par une culture de bienveillance excessive, conduit à une acceptation de comportements autrement inacceptables.

 

 

Il est crucial de réagir face au manque de respect, à la dénigration, et aux insultes, que ce soit dans les interactions en ligne ou dans la vie quotidienne.

Se respecter soi-même signifie savoir mettre fin à des interactions toxiques, en bloquant les personnes nuisibles sur les réseaux sociaux ou en se retirant des situations nocives dans la vie réelle.

 

Le masochiste moral se différencie du masochiste pervers par deux traits : d’une part, il n’agit pas en rapport apparent avec la fonction sexuelle ; d’autre part, il ignore qu’il est masochiste, qu’il crée sa souffrance et en jouit, jouissance autrement interdite. La ressemblance entre les deux formes de masochisme réside dans la recherche, par des voies différentes, de la souffrance, moyen et non but en soi. Nacht rappelle que Freud découvrit le besoin de souffrir à travers la « réaction thérapeutique négative », pivot de sa réflexion sur le masochisme moral dans son article de 1924. Cette réaction fut attribuée à un besoin de souffrir, expression d’un complexe inconscient de culpabilité, celle-ci étant apaisée grâce à la souffrance névrotique à laquelle le patient renonce difficilement, voire se cramponne avec acharnement. Mais cette tendance autopunitive prend une place importante dans la psychogenèse des psycho-névroses et Nacht en étudiera plus avant les manifestations dans la névrose obsessionnelle, la mélancolie et certains troubles des fonctions sexuelles. Le masochisme moral réalise quand à lui une véritable « névrose de comportement » ou « caractère masochiste » dont l’auteur va effectuer une description clinique magistrale.

 

 

 

Ce caractère masochiste se retrouve dans des traits typiques qui en forment la toile de fond caractérielle. « Subjectivement : un sentiment de peine, de souffrance plus ou moins indéfinie, de tension affective et surtout d’insatisfaction ; un besoin de se plaindre, de se montrer malheureux, incapable, écrasé par la vie, une tendance à trouver compliqués et insolubles les problèmes les plus simples de l’existence, à exagérer les moindres difficultés et à s’en faire un tourment et, parallèlement, une impossibilité à saisir les joies de la vie. Objectivement : comportement “maladroit”, inadapté, manquant de souplesse, frappant d’avantage puisqu’il s’agit d’un sujet dont l’intelligence est normale ; attirant l’animosité de l’entourage, ce sujet se mettant, comme poussé par une fatalité inéluctable, toujours dans les situations les plus désagréables, ne sachant jamais éviter “la tuile”, au contraire la recherchant : “dès qu’il y a un coup à recevoir, le masochiste tend sa joue” (Freud). Bref, un comportement traduisant un besoin inconscient de se faire souffrir, de se diminuer en se présentant sous le jour le plus défavorable et d’échouer partout » (ibid., p. 27).

 

 

 

Sur ce fond caractériel, différents types s’individualisent en fonction de la prédominance de telle ou telle tendance masochiste : échec total, échec après réussite, échec en secteur (vie amoureuse) parallèlement avec une réussite elle-même sectorisée (sociale par exemple), échec devant le succès (Freud, 1916), pessimisme systématique, délectation morose, malheur chronique, etc. « Tout être qui, placé dans des conditions de vie objectivement normales, s’avère incapable de donner un sens satisfaisant à cette vie révèle par là son caractère masochiste » (ibid., p 79).

 

 

 

Pourquoi et comment un tel sujet qui devrait tendre au bonheur et réaliser ses aspirations en vient-il à une telle issue ? Nacht reprend alors la thèse freudienne de 1924 pour la développer dans des perspectives propres. Pour Freud, selon Nacht [], le besoin de punition, considéré comme l’expression du sentiment de culpabilité, est le trait essentiel du masochisme moral, ce qui implique le rôle du surmoi dont une des fonctions concerne justement la conscience morale. Chez le masochiste moral, les punitions qu’il s’inflige par l’intermédiaire de son surmoi auraient pour fonction de le préserver de l’angoisse de castration : il s’agirait moins de la recherche de la souffrance pour elle-même que d’une réaction de défense visant à écarter le danger fantasmatique de la castration. Il s’agit ainsi d’une « monnaie d’échange » par rapport à la satisfaction sexuelle souvent autorisée à ce prix, parfois sacrifiée en partie ou en totalité (amour malheureux, impuissance, etc.). Le besoin de souffrir est utilisé ici comme un moyen qui permet d’éviter le danger de castration du champ génital en le déplaçant sur un champ non génital, et d’obtenir des satisfactions sexuelles plus ou moins libres de conflit.

 

 

 

Mais ce comportement autopunitif par excellence susceptible de caractériser toute névrose est-il vraiment le masochisme moral ? Il semble en effet que des sujets se complaisent uniquement dans la souffrance. Nacht reprend alors l’explication freudienne de 1924, qui lie le texte de 1919 (« Un enfant est battu ») au masochisme moral. Derrière la souffrance provoquée inconsciemment, se cache le désir d’être puni-battu par l’autorité parentale à laquelle s’est substituée le surmoi du sujet. Etre battu par le père signifiant être aimé par celui-ci, les souffrances attirées par le comportement du masochiste moral sont assimilées inconsciemment aux coups reçus par le père. Le châtiment paternel est (re)sexualisé et ramène régressivement à l’œdipe. La punition reçue implique la persistance de la faute, le maintien de l’investissement libidinal œdipien. « La souffrance permet dans ce cas au sujet de garder l’objet qui lui vaut la punition, c’est-à-dire la fixation sexuelle infantile (incestueuse) » (ibid., p. 83) []. C’est ce que Freud signifiait quand il écrivait : « La conscience et la morale sont apparues du fait que le complexe d’œdipe a été surmonté, désexualisé ; par le masochisme moral, la morale est resexualisée, le complexe d’œdipe ressuscité, une voie régressive est frayée, de la morale au complexe d’œdipe » (1924, p. 296). C’est le rapport moi/surmoi qui est sexualisé à l’âge adulte et qui reproduit régressivement le vœu infantile œdipien passif à l’égard du père.

 

 

 

Nacht, en fin clinicien, effectue alors deux remarques d’importance : cette forme de masochisme moral de type autopunitif correspond à une structure psychique évoluée (œdipienne/post-œdipienne) puisqu’elle fait intervenir le surmoi ; les mécanismes dérivant du complexe d’œdipe (culpabilité, castration, autopunition) n’ont rien de spécifiques puisqu’ils se retrouvent à la base d’autres manifestations névrotiques : « L’autopunition est une manifestation masochiste, mais elle n’est pas tout le masochisme » (1965, p. 85) []. La théorisation œdipienne du masochisme moral paraît insuffisante à l’auteur et son explication doit faire appel à des « couches plus profondes », soit l’analyse de la pré-génitalité []. Un élément caractéristique du comportement du masochiste tient au fait que dans sa recherche inconsciente du malheur il ne cesse de provoquer ceux qui l’entourent, déclenchant ainsi le sadisme d’autrui. « Il ne semble à sa place que lorsqu’il est victime » (ibid., p. 85). Le transfert met particulièrement en évidence cette tendance quand le patient cherche à provoquer des réactions désagréables, hostiles du psychanalyste, à le faire sortir de son attitude de neutralité ressentie comme de l’indifférence. Or ces mauvais traitement attendus prennent à l’analyse la signification d’une quête d’intérêt, d’affection : « Le masochiste, plus avide d’amour que n’importe qui, aspire constamment à recevoir des preuves d’amour, le besoin de souffrir, donc de se plaindre, est chez lui l’expression d’un besoin d’amour » (ibid., p. 86). L’enfant non-aimé, qui ne reçoit pas de marque d’intérêt et d’amour, n’a guère d’autre moyen que de « devenir malheureux ou insupportable, ou les deux à la fois, ce qui est plus fréquent encore. Alors on s’occupe de nouveau de lui ; on le plaint, on le regarde, on le punit [...] preuve qu’il existe pour ceux dont il souhaite l’amour » (ibid., p. 87). Tout enfant aspire à être aimé et à aimer, mais une frustration libidinale trop importante transforme l’amour en haine [] qui ne peut s’extérioriser envers les personnes aimées mais décevantes du fait de la peur que cette haine inspire. « L’agressivité est alors intériorisée, infléchie et retournée contre le sujet lui-même. C’est cette transformation de l’agressivité par la peur qui constitue l’essence même du masochisme » (ibid., p. 88). C’est un surmoi excessivement rigoureux, sévère, dur, cruel, qui est rendu responsable de cette réaction et Nacht en évoque rapidement la genèse : excessive sévérité parentale distribuant trop généreusement les punitions ou au contraire indulgence, bonté voire faiblesse excessive ne permettant pas à l’enfant de libérer son agressivité, aboutiront au même résultat. Mais une autre source d’agressivité caractérisant le surmoi du masochiste provient du sadisme « mal liquidé » issu des phases prégénitales orales et anales. Nacht évoque alors le rôle perturbant des frustrations orales trop intenses qui sont susceptibles de libérer une agressivité d’autant plus violente qu’elle est primaire et vient se retourner avec d’autant plus de facilité que sujet et objet, agresseur et agressé sont encore largement indifférenciés à cette époque. Dans ce cas, l’agressivité suit une voie lourde de conséquences sur le plan clinique et thérapeutique et détermine ce que Nacht appellera « masochisme primaire organique » caractérisé par une auto-agressivité investie directement, « étalée » sur place. On sait que Nacht refusera toujours de théoriser cette forme de masochisme par le recours à la pulsion de mort dont il était un farouche opposant []. Néanmoins, il y verra une des entraves les plus fortes au développement de la personnalité, des relations objectales « normales », et la source des fixations « les plus tenaces et les plus profondes », responsable des difficultés sinon échecs thérapeutiques. En ce sens, les caractéristiques de cette forme de masochisme s’apparentent à la mélancolie, à la différence que dans cette dernière le sadisme envers soi passe par le détour de l’identification à l’objet perdu.

 

 

 

Schématiquement, peut être ainsi définie une « structure de base » du caractère masochiste : le masochiste moral n’a jamais pu surmonter les premières déceptions de la vie infantile et son besoin d’amour constant se confond avec un besoin de souffrance. Ainsi, la déception renouvelée lui permet comme jadis de vivre l’amour dans la haine, haine infléchie sur lui-même. « Au fond, le ou les objets d’amour le conduisent à s’aimer en se haïssant. C’est encore un Narcisse mais à sa manière malheureuse » (ibid., p. 97) []. La haine est intériorisée et retournée contre un moi très faible, mal différencié de l’objet, chez un sujet dont les pulsions agressives et libidinales sont encore mal séparées. L’énergie en jeu dans ce processus, issue du ça, donnera toute sa puissance au masochisme sous forme de sadisme retourné. Cette forme est à différencier du masochisme moral secondaire qui se développe à un stade ultérieur, quand les fonctions du moi sont mises en place. C’est la peur qui transforme l’agressivité refoulée ou infléchie en masochisme secondaire, la passivité propre au masochiste dans son activité sexuelle ou dans son comportement général s’expliquant par le refoulement de la composante agressive de la phase phallique active.

 

 

 

En conclusion, Nacht propose de distinguer trois types de masochisme moral. Le premier concerne l’individu à l’activité parsemée d’échecs. Il s’agit d’une réaction autopunitive par rapport au complexe d’œdipe : se punir pour échapper à la castration. Le deuxième représente le sujet qui se complait dans la souffrance. L’œdipe est encore en cause : la peur issue de l’agressivité est érotisée et elle apporte ainsi des satisfactions libidinales. Enfin le troisième type, propre aux « prégénitaux » [], présente une « qualité affective » imprégnant toute la personnalité du sujet qui n’est plus accessible qu’à la souffrance. Il s’agit d’un masochisme « profond, organique » dans lequel l’amour de soi et des autres est devenu haine de soi, le sadisme primaire transformé totalement en masochisme aboutissant à l’autodestruction.

 

 

 

https://www.cairn.info/revue-psychologie-clinique-et-projective-2006-1-page-7.htm

 



26/10/2019
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